23 000 euros par jour : nourrir un astronaute dans l’espace représente un défi économique insoluble pour les missions longues durée. Alors que l’Europe planche sur des cultures en microgravité, un laboratoire orbital teste dès aujourd’hui une méthode radicale de production alimentaire. Entre levures modifiées et imprimantes 3D, comment l’ESA compte réduire ce coût astronomique tout en préservant le moral des équipages ? Les premiers résultats pourraient bien bouleverser notre approche de l’exploration spatiale.
23.000 euros par astronaute : l’urgence économique derrière l’alimentation spatiale
Nourrir un équipage dans l’espace coûte 23.000 euros par jour et par astronaute – un budget qui menace la viabilité des futures missions vers Mars ou la Lune. Dans la Station spatiale internationale (ISS), les aliments frais restent exceptionnels : 90 % des repas proviennent de produits réhydratables ou thermostabilisés, malgré leur impact sur le moral et la santé des équipages.
Face à ce défi, l’Agence spatiale européenne (ESA) mise sur une solution inédite : des levures capables de produire protéines et glucides par fermentation en apesanteur. Un laboratoire miniature testant cette technologie a déjà été envoyé en orbite en avril 2024. « Transporter de la nourriture pour des missions lointaines serait inimaginable en termes de coût et de poids », insiste Rodrigo Ledesma-Amaro, chercheur à l’Imperial College de Londres.
Cette approche pourrait diviser par dix les dépenses alimentaires, selon les estimations des scientifiques. Un enjeu crucial alors que la NASA prévoit des missions habitées de 200 jours vers Mars, où chaque kilo embarqué coûte 18.000 euros à mettre en orbite. La réussite des tests déterminera le déploiement d’une usine pilote dans l’ISS dès 2026.
Un laboratoire en orbite : la première usine alimentaire de l’espace
L’ESA a lancé en avril 2024 un laboratoire miniature contenant des levures modifiées, première étape vers une production alimentaire autonome dans l’espace. Objectif : vérifier si ces microorganismes peuvent synthétiser protéines et glucides sous rayonnement solaire accru et en microgravité. « Pour Mars, cette technologie deviendra une source d’économie et d’autonomie », explique Olivier Sanguy de la Cité de l’Espace.
Contrairement aux potagers expérimentaux de l’ISS, cette méthode utilise la biologie de synthèse pour recréer des aliments complets. Les ingrédients cultivés dans des cuves – graisses, sucres, fibres – sont ensuite transformés en plats reconnaissables, comme des steaks ou des purées. Mais l’absence de gravité perturbe les réactions biochimiques, nécessitant des ajustements inédits.
Si certains pays produisent déjà de la viande de synthèse sur Terre, l’ESA doit résoudre un défi supplémentaire : les radiations spatiales, 15 fois plus intenses qu’à la surface terrestre. Les premiers résultats détermineront le lancement d’une usine pilote dans l’ISS dès 2026, capable de nourrir un équipage pendant six mois.
Steaks imprimés en 3D : vers une révolution culinaire hors de la Terre
La prochaine étape ? Transformer les ingrédients synthétisés en plats familiers grâce à l’impression 3D alimentaire. « À plus long terme, nous pourrions imprimer ce que nous voulons dans la station, comme un steak ! », affirme Aqeel Shamsul, fondateur de Frontier Space. Cette technologie, testée en collaboration avec l’Imperial College de Londres, vise à recréer textures et saveurs terrestres malgré les contraintes spatiales.
Sur Terre, l’impression 3D permet déjà de produire des pâtes ou des desserts personnalisés. Mais dans l’espace, l’enjeu est différent : réduire le poids des cargaisons. Chaque kilo de nourriture envoyé vers Mars coûterait 18.000 euros via fusée, selon les calculs de la NASA. La solution repose sur des cartouches d’ingrédients lyophilisés à réhydrater en orbite.
Reste un obstacle de taille : la durée de conservation. Les missions vers Mars nécessitent des aliments stables pendant 200 jours minimum – le temps du trajet aller. Les chercheurs planchent sur des levures génétiquement modifiées pour résister aux radiations, capables de régénérer les nutriments durant le voyage. Une avancée qui intéresserait aussi les projets lunaires du secteur privé.
Au-delà des nutriments : l’impact psychologique de cultiver son repas dans l’espace
Produire sa nourriture dans l’espace dépasse la simple logistique : c’est un enjeu de santé mentale. « Fabriquer eux-mêmes leurs aliments crée un lien social crucial pour les équipages », souligne Marie-Ange Sanguy, rédactrice en chef d’Espace et Exploration. Une nécessité lors de missions isolées pouvant durer des mois, où la monotonie alimentaire aggrave le stress.
L’apesanteur provoque une perte de 1 à 2 % de masse osseuse mensuelle chez les astronautes, malgré deux heures d’exercice quotidien. « La diversification alimentaire est essentielle pour limiter les compléments nutritionnels », précise la spécialiste. Les aliments cultivés en labo permettraient d’ajuster les apports en protéines ou calcium en temps réel.
Cette autonomie devient vitale pour les voyages vers Mars, où le ravitaillement est impossible pendant les 200 jours de trajet. Les agences spatiales y voient aussi un moyen de renforcer la résilience des équipages : cuisiner ensemble maintiendrait un ancrage terrestre, même à 54 millions de kilomètres de la Terre.