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260 000 porcs en hauteur, mais ce détail olfactif que les riverains ne supportent plus

Julie K.
13 Min de lecture

En Chine, des porcs sont désormais élevés dans des tours d’immeubles de plusieurs dizaines d’étages. Cette méthode révolutionnaire vise à économiser de l’espace au sol tout en intégrant des systèmes automatisés sophistiqués. La vérité surprenante derrière ces exploitations verticales soulève pourtant de nombreuses questions, notamment sur les conditions de vie des animaux et les impacts environnementaux. Ce que révèle ce modèle inédit mérite un examen approfondi.

L’Élevage Vertical À La Chinoise : Une Révolution Spatiale

Poursuivant l’exploration des nouvelles formes d’élevage, la Chine innove avec des structures élevées en hauteur destinées à héberger des centaines de milliers de porcs. À Ezhou, près de Wuhan, s’élève un immeuble hors normes de 26 étages où résident environ 260 000 porcs, soit une moyenne de 10 000 animaux par étage. Cette configuration verticale bouleverse les méthodes traditionnelles d’élevage en optimisant l’usage de l’espace au sol.

L’imposante tour à cochons fonctionne avec un niveau d’automatisation avancé. Le système d’alimentation, par exemple, distribue 13 000 tonnes d’aliments chaque jour via des canaux internes, permettant de nourrir les animaux en moins de cinq minutes sans intervention humaine directe. Ce procédé réduit considérablement les déplacements et les contacts, au bénéfice d’une gestion plus rigoureuse.

Le contrôle environnemental est tout aussi sophistiqué. Jin Lin, responsable de l’exploitation, explique : « Nous avons ici un système de contrôle qui surveille tout : les systèmes de ventilation, l’alimentation des cochons, la température dans les étages, le niveau d’humidité, la concentration aussi en ammoniac et en oxyde d’azote, ainsi que l’indice de puanteur et bien d’autres choses. » Ce dispositif centralisé permet d’intervenir rapidement en cas de dépassement des seuils fixés, assurant un suivi permanent des paramètres essentiels à la santé animale.

L’ampleur de cette installation génère cependant d’importants volumes de déchets. Chaque jour, les 260 000 porcs produisent environ 250 tonnes de déjections solides. Une partie est valorisée comme combustible pour une cimenterie voisine, tandis que le reste fait l’objet d’un traitement sur place avant d’être réinjecté dans le cycle de fonctionnement de l’exploitation.

Cette innovation spatiale ne s’arrête pas là. Une seconde tour identique est en cours de finition à Ezhou et devrait entrer en service dès juillet 2025, doublant ainsi la capacité d’accueil et renforçant la tendance à l’élevage vertical dans la région. Ce modèle suscite un intérêt croissant parmi les producteurs chinois, qui voient dans cette organisation une réponse aux contraintes foncières et logistiques actuelles.

Dans ce contexte, la question de l’efficacité et de la gestion des conditions de vie des animaux reste au cœur des débats, préparant le terrain à une analyse plus approfondie des motivations économiques et sanitaires qui alimentent ce choix novateur.

Des Raisons Économiques Et Sanitaires Pour Un Modèle Atypique

L’adoption de l’élevage vertical à Ezhou s’inscrit dans une stratégie bien définie, répondant à des contraintes économiques et sanitaires majeures. Le premier avantage est spatial : en concentrant 260 000 porcs sur une surface réduite, la tour permet un gain considérable de terrain. Selon les responsables, cette installation économise près de 95 % de la surface au sol par rapport à un élevage traditionnel. Dans un pays où la pression foncière est forte, notamment dans le sud, cette optimisation de l’espace apparaît comme un atout déterminant pour maintenir une production intensive sans empiéter davantage sur les terres agricoles ou urbaines.

Au-delà de la gestion foncière, la dimension sanitaire joue un rôle central dans la promotion de ce modèle. La Chine garde en mémoire les lourdes pertes subies lors de l’épidémie de peste porcine africaine en 2018, un traumatisme qui a profondément marqué les producteurs et les autorités. Dans ce contexte, les tours à cochons offrent des garanties nouvelles. Le vétérinaire Liu Liang souligne les bénéfices sanitaires de ces élevages en hauteur : « Lorsque la densité animale est élevée, les maladies se propagent facilement, mais ce genre d’élevage en hauteur a ses avantages. Les systèmes modernes de filtration de l’air permettent de réduire les charges virales et faire baisser les risques de maladies. Et puis, l’agencement du bâtiment et le système de transport entièrement automatisé à l’intérieur limitent les risques de contact avec l’extérieur. Tout cela favorise la prévention contre les virus. »

La production quotidienne d’aliments, chiffrée à 13 000 tonnes, s’inscrit également dans cette logique d’autonomie et de contrôle strict. Fabriqués directement sur place, les aliments sont distribués automatiquement, ce qui réduit les risques de contamination liés aux transports et aux interventions humaines. Cette organisation intégrée vise à renforcer la biosécurité, un enjeu crucial pour un pays où le porc constitue la première viande consommée.

Ainsi, le modèle vertical ne se limite pas à une simple solution d’espace. Il s’inscrit dans une vision stratégique où économie de surface et maîtrise sanitaire se conjuguent pour répondre aux défis contemporains de l’élevage. Toutefois, cette approche soulève aussi des questions quant à son impact à long terme et à son acceptabilité sociale, des aspects qui méritent un examen attentif.

Conditions De Vie Des Porcs Et Critiques Des Riverains

Si l’élevage vertical promet des avancées notables en matière d’espace et de biosécurité, les conditions de vie des porcs à l’intérieur de ces tours suscitent des interrogations. L’accès strictement réglementé aux zones d’élevage, imposé par des normes sanitaires rigoureuses, empêche toute observation directe. Les gestionnaires assurent cependant que chaque animal dispose en moyenne d’un mètre carré, un espace conforme aux standards habituels dans les exploitations chinoises. Une responsable logistique précise que « les cochons ne vivent pas dans un espace très serré. Notre objectif est d’avoir des animaux en bonne santé, donc on a créé des conditions pour leur permettre de faire de l’exercice. Chaque étage a une superficie de 14 000 mètres carrés pour 10 000 porcs en moyenne. Et lorsque les truies sont pleines, elles sont placées dans des enclos plus grands pour leur permettre de développer leur corps. »

Malgré ces garanties, les témoignages des riverains du village de Hongqiao, situé en contrebas de la tour, dressent un tableau moins rassurant. Avec ses 3 600 habitants, cette communauté subit au quotidien les conséquences de la proximité avec cette installation. Les plaintes concernent principalement la gestion des odeurs, un problème qui semble persister malgré les dispositifs de filtration et de contrôle affichés par les exploitants. Une habitante témoigne : « Ça pue à mourir, l’odeur affecte ma vie au quotidien. Tout le village sent la puanteur, surtout quand il fait chaud. Je le sens même quand mes fenêtres sont fermées. » Une autre ajoute : « Quand le vent est du mauvais côté, c’est même pire. Nous ne pouvons pas survivre ici. »

Ces critiques soulignent un décalage important entre les ambitions technologiques et les réalités vécues par les populations locales. Si les responsables insistent sur la surveillance permanente des indices de puanteur, la perception des habitants demeure celle d’une nuisance récurrente, qui impacte leur qualité de vie et leur santé. Les sit-in des femmes les plus âgées du village traduisent une volonté de faire entendre ce mécontentement, au-delà des simples demandes de compensation financière.

Cette tension entre innovation industrielle et acceptabilité sociale illustre les défis auxquels se confronte ce modèle d’élevage vertical. La gestion des externalités environnementales, notamment olfactives, apparaît comme un enjeu clé pour assurer une coexistence viable entre les tours à cochons et leurs voisins. Ces difficultés posent ainsi la question de l’équilibre à trouver entre productivité et respect des conditions de vie, tant animales que humaines.

Vers Une Expansion Planétaire De L’Élevage Vertical ?

Au-delà des tensions locales et des défis environnementaux, le modèle des tours à cochons connaît un développement accéléré en Chine. Avec déjà plus de 200 de ces élevages verticaux implantés à travers le pays, cette méthode s’impose progressivement comme une réponse aux contraintes foncières et sanitaires. Le projet en cours à Ezhou, combinant deux tours totalisant plus de 500 000 porcs, illustre cette ambition d’industrialisation à grande échelle.

Cette expansion soulève néanmoins des questions majeures quant à la durabilité et à la reproductibilité du modèle. Si l’optimisation de l’espace et la réduction des risques de maladies par l’automatisation et le confinement apparaissent comme des avancées, les impacts environnementaux et sociaux restent à surveiller. Peut-on imaginer que cette forme d’élevage devienne un standard mondial face à la pression croissante sur les terres agricoles et aux exigences sanitaires renforcées ?

Le contexte chinois, avec ses contraintes démographiques et économiques spécifiques, offre un terrain propice à ce type d’innovation. Mais l’exportation de ce modèle vers d’autres régions du globe nécessitera sans doute une adaptation rigoureuse aux réalités locales, notamment en matière de bien-être animal et de gestion des nuisances. Le poids des critiques des riverains, les difficultés liées à la maîtrise des odeurs et la question du lien entre humains et animaux dans ces environnements confinés invitent à une réflexion approfondie sur les limites de cette industrialisation verticale.

En parallèle, la croissance rapide de ces méga-élevages interroge sur leur impact à long terme, tant sur la biodiversité que sur les systèmes alimentaires mondiaux. La concentration massive d’animaux dans des structures fermées modifie profondément les dynamiques traditionnelles d’élevage, avec des conséquences encore difficiles à mesurer. Cette transformation pose aussi la question des alternatives possibles, entre innovations technologiques et pratiques agricoles plus durables.

Ainsi, alors que la Chine poursuit le déploiement de ses tours à cochons, le monde observe avec attention ce modèle qui pourrait redessiner le paysage de l’élevage industriel. Le défi sera de conjuguer productivité, sécurité sanitaire et respect des écosystèmes, dans un contexte où la demande en viande continue de croître. L’évolution de cette industrie verticale pourrait bien devenir un indicateur clé des futures orientations de l’agriculture mondiale.