Dans le monde de la mode où jeunesse et perfection règnent en maîtres, le magazine Vogue Philippines bouscule les codes en propulsant sur sa couverture d’avril une femme âgée de 106 ans. Apo Whang-Od, dernière maître tatoueuse traditionnelle de sa génération, devient ainsi la mannequin la plus âgée à faire la une du prestigieux magazine, prouvant que la beauté transcende les âges et les cultures.
Loin des studios photo parisiens, c’est dans le village reculé de Buscalan, dans la région montagneuse de Kalinga, que le photographe Artu Nepomuceno a immortalisé cette artiste centenaire. Parée de ses perles traditionnelles et arborant fièrement ses tatouages ancestraux, Whang-Od incarne la rencontre fascinante entre tradition séculaire et reconnaissance moderne.
L’héritière d’un art millénaire
Initiée dès l’âge de 16 ans par son père aux techniques du « batok », le tatouage traditionnel philippin, Whang-Od perpétue depuis près d’un siècle un savoir-faire unique. En tant que « mambabatok », elle est aujourd’hui la dernière représentante de sa génération à pratiquer cet art ancestral qui fait la fierté du peuple Kalinga.
Consciente de l’importance de transmettre cet héritage, elle forme actuellement ses deux nièces, Grace et Eliang, perpétuant ainsi une tradition qui risquait de disparaître. Son engagement dans la préservation de cet art lui a valu en 2018 le prestigieux prix « Dangal ng Haraya » de la Commission nationale pour la culture et les arts (NCCA).
Qu’est-ce que le batok ?
Technique de tatouage traditionnel philippin consistant à introduire sous la peau un mélange d’eau et de charbon de bois à l’aide d’un pic de pamplemousse ou de calamondin et d’un marteau en bois. Cette méthode ancestrale produit des motifs distinctifs propres à la culture Kalinga.
Du village de Buscalan aux projecteurs internationaux
La renommée d’Apo Whang-Od a franchi les frontières de son village en 2010, lorsque l’anthropologue américain Lars Krutak l’a présentée dans sa série « Tattoo Hunter ». Cette exposition médiatique a transformé Buscalan en destination prisée du tourisme culturel, permettant à toute la communauté de bénéficier de cette reconnaissance.
Cette nouvelle visibilité, couronnée par la couverture de Vogue Philippines, représente bien plus qu’une simple séance photo. Comme le souligne Bea Valdes, rédactrice en chef du magazine : « Dans ce numéro, nous rendons hommage aux femmes intelligentes et féroces, qui se créent elles-mêmes et écrivent leurs propres histoires. »
L’impact culturel des tatouages Kalinga
Les tatouages traditionnels Kalinga ne sont pas de simples ornements. Chaque motif raconte une histoire, symbolise un statut social ou commémore un événement important dans la vie du porteur. Cette pratique ancestrale constitue un véritable langage visuel transmettant l’histoire et les valeurs de la communauté.
Un pont entre tradition et modernité
Au-delà de sa présence historique en couverture de Vogue, Apo Whang-Od incarne la résistance d’un art traditionnel face à la modernisation. Le numéro explore également d’autres aspects du patrimoine culturel philippin, comme le barong, costume national, et le tissage pina, réalisé à partir de feuilles d’ananas.
À 106 ans, cette artiste exceptionnelle continue de pratiquer son art, réalisant chaque tatouage à la main avec la même précision qu’il y a 90 ans. Son histoire nous rappelle que la beauté et l’art n’ont pas d’âge, et que les traditions anciennes ont toute leur place dans notre monde contemporain.