Appelé Jean-Pierre pendant 57 ans, Mohammed révèle : « C’était un fardeau pour moi »

Quentin M.
7 Min de lecture

Le 13 août 2024, Mohammed Guerroumi franchit les portes de la mairie de Strasbourg, le cœur battant. À 70 ans, cet homme au parcours hors du commun s’apprête à vivre un moment qu’il attendait depuis plus d’un demi-siècle. Entouré de ses proches, il vient chercher les documents qui vont enfin lui rendre son identité : une carte d’identité et un passeport portant son véritable nom et prénom de naissance.

Pour comprendre l’émotion qui submerge Mohammed, il faut remonter 57 ans en arrière. En 1966, alors âgé de 13 ans, ce jeune Algérien fuyant la guerre arrive en France. Placé sous la tutelle du foyer Charles Frey à Strasbourg, il se voit imposer un nouveau nom : Jean-Pierre Guerin. Ce changement d’identité, fruit de la politique d’assimilation française de l’époque, marque le début d’un long combat pour retrouver ses racines.

L’assimilation forcée : une pratique controversée

Dans les années 1960, la France applique une politique d’assimilation stricte envers les immigrés. L’objectif est clair : effacer les particularismes culturels et linguistiques pour créer une société homogène. Cette approche, héritée de la période coloniale, se traduit par des changements de noms et de prénoms, censés faciliter l’intégration des nouveaux arrivants.

Pour Mohammed Guerroumi, devenu Jean-Pierre Guerin du jour au lendemain, cette assimilation forcée est vécue comme un véritable déracinement. « Ce nom qui m’a été imposé, c’était un fardeau pour moi. J’en ai terriblement souffert. Je le portais comme un masque, c’était un faux », confie-t-il avec émotion. Pendant 57 ans, il vit avec cette double identité, jonglant entre son nom d’origine et celui qui lui a été attribué.


L’assimilation coloniale en bref
Politique visant à faire adopter aux peuples colonisés la culture et les valeurs du colonisateur. En France, elle s’est appliquée diversement selon les territoires de l’Empire, avec l’idée d’étendre la culture française hors de l’Hexagone. Cette doctrine a été débattue depuis le siècle des Lumières et a influencé la politique d’immigration jusque dans les années 1960.

Un parcours semé d’embûches

Au quotidien, cette situation génère de nombreuses difficultés pour Mohammed. « Lorsque je passais la douane allemande, il y avait toujours des problèmes, je m’en souviens encore. J’étais obligé de montrer une attestation de concordance. C’était toujours difficile », raconte-t-il. Ces tracasseries administratives, ajoutées au poids psychologique de porter un nom qui n’est pas le sien, motivent Mohammed à entamer un long combat pour retrouver son identité.

Ce n’est qu’en 2023, après des années de luttes administratives, que Mohammed remporte une première victoire. Il obtient le droit d’utiliser exclusivement son prénom d’origine. Mais il faut attendre début 2024 pour que le ministère de la Justice lui envoie un dossier lui permettant de faire rectifier également son nom de famille. Un processus long et complexe qui illustre les difficultés rencontrées par de nombreux immigrés pour faire valoir leurs droits identitaires.

La reconnaissance tant attendue

Le 13 août 2024 marque donc l’aboutissement de ce combat acharné. Lorsque Mohammed Guerroumi tient enfin dans ses mains ses nouveaux papiers d’identité, l’émotion est palpable. « Je suis très, très heureux. C’est une souffrance de plus de 57 ans qui s’achève », déclare-t-il, la voix tremblante. Pour lui, ce changement va bien au-delà d’une simple modification administrative : « Ce qui m’arrive aujourd’hui, c’est un retour à mes racines. Une reconnaissance officielle mais aussi une célébration de mon identité et de mon histoire ».

Cette victoire personnelle résonne comme un symbole fort pour toute une génération d’immigrés ayant subi l’assimilation forcée. Elle met en lumière les conséquences à long terme de ces politiques sur l’identité et le bien-être des personnes concernées. Le cas de Mohammed Guerroumi illustre également l’évolution des mentalités et des pratiques administratives en France, où la reconnaissance de la diversité culturelle tend à remplacer l’ancien modèle assimilationniste.


Le combat administratif pour changer de nom
En France, changer de nom est une procédure complexe qui nécessite de justifier d’un « intérêt légitime ». Pour les personnes comme Mohammed Guerroumi, ayant subi un changement de nom forcé, le processus peut prendre des années. Il implique généralement des démarches auprès du ministère de la Justice et des tribunaux, ainsi que la constitution d’un dossier solide prouvant l’origine du nom revendiqué.

Un nouveau chapitre s’ouvre

Pour Mohammed Guerroumi, l’obtention de ses nouveaux papiers d’identité marque le début d’une nouvelle ère. À 70 ans, il peut enfin se présenter au monde sous sa véritable identité, sans crainte ni honte. Cette reconnaissance officielle lui permet de réconcilier son passé et son présent, de renouer pleinement avec ses origines tout en restant ancré dans la société française qu’il a contribué à construire.

L’histoire de Mohammed Guerroumi soulève également des questions importantes sur les politiques d’intégration en France. Elle invite à réfléchir sur la manière dont la société française peut accueillir et valoriser la diversité culturelle de ses citoyens, tout en promouvant un sentiment d’appartenance commune. Le parcours de cet homme rappelle que derrière chaque nom se cache une histoire, une identité, et que la reconnaissance de cette richesse est essentielle pour construire une société véritablement inclusive.