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Erwann Tison alerte : « La France ne peut plus maintenir les pensions actuelles » – La réforme radicale qu’il préconise

Julie K.
16 Min de lecture

La France fait face à un défi majeur concernant son système de retraites. Démographiquement, le pays ne peut plus financer des pensions aussi généreuses, selon des experts. Ce constat ouvre la voie à des réformes qui restent encore largement débattues. La vérité surprenante derrière ces ajustements pourrait redessiner l’avenir des retraites françaises.

La Crise Financière Du Système De Retraites Français : Un Défi Insoutenable

La question des retraites en France se heurte aujourd’hui à une réalité financière et démographique qui impose une réflexion urgente et rigoureuse. Comme l’a souligné Erwann Tison, économiste spécialisé dans ce domaine, « Démographiquement, nous n’avons plus les moyens de nous payer un système de retraite aussi généreux ». Cette affirmation résume la tension croissante entre les engagements du système et les ressources disponibles.

Le cœur du problème réside dans l’évolution du ratio entre cotisants et retraités. Selon les prévisions du Conseil d’orientation des retraites (COR), à partir de 2030, la population active diminuera d’environ 35 000 personnes par an en solde net. Cette baisse s’accompagnera d’une forte augmentation du nombre de retraités, creusant ainsi l’écart entre ceux qui contribuent au financement du système et ceux qui en bénéficient. Le COR estime que le ratio cotisants/retraités pourrait tomber à 1,3, un seuil critique qui rend la soutenabilité du système difficilement tenable.

Cette configuration démographique a un impact direct sur la charge budgétaire. Les dépenses liées aux retraites représentent actuellement environ 400 milliards d’euros, soit un quart des dépenses publiques totales. Cette proportion considérable place les retraites au premier rang des postes de dépense de l’État. Dès lors, la nécessité d’un ajustement devient évidente, d’autant plus que la rigueur budgétaire s’impose face à un déficit structurel persistant.

Le déséquilibre financier se manifeste également dans la relation entre les cotisations perçues et les pensions versées. Pour maintenir le niveau moyen actuel des pensions, estimé à 1 500 euros, chaque actif devrait théoriquement contribuer à hauteur de 1 200 euros par mois. Ce scénario apparaît irréaliste, surtout dans un contexte où le taux de cotisation actuel est déjà très élevé et où les capacités contributives des actifs sont limitées.

Au-delà des chiffres, cette situation interroge sur la pérennité d’un modèle fondé sur la répartition, dans lequel les pensions des retraités actuels sont financées par les cotisations des actifs présents. Face à une population active en déclin et une population retraitée en croissance, la tension sur ce système s’intensifie, révélant un défi à la fois économique et social.

Cette réalité impose ainsi une remise à plat des mécanismes de financement et des paramètres du système de retraites, dans un contexte marqué par des contraintes démographiques inédites. La réflexion doit désormais intégrer ces données pour envisager des solutions adaptées, en tenant compte des implications à la fois pour les retraités et pour les actifs.

Les Pistes De Réforme : Entre Austérité Et Innovation Structurelle

La situation financière délicate du système de retraites impose d’examiner avec pragmatisme les différentes pistes de réforme, entre contraintes budgétaires et nécessité d’innovation. Alors que l’augmentation des cotisations sociales apparaît limitée, la recherche d’un nouveau modèle de financement se fait pressante.

En effet, le taux de cotisation actuel avoisine déjà les 28 % du salaire super-brut pour un salarié au salaire médian, soit environ 950 euros par mois. Cette charge élevée réduit considérablement la marge de manœuvre pour relever davantage les cotisations sans compromettre le pouvoir d’achat des actifs. Comme le souligne Erwann Tison, « on ne peut décemment pas aller au-delà », ce qui exclut la simple augmentation mécanique des prélèvements sociaux comme solution viable.

Face à cette contrainte, l’introduction d’un pilier de capitalisation s’impose comme une alternative structurante. Contrairement à la répartition, où les cotisations financent directement les pensions des retraités actuels, la capitalisation permet d’accumuler des fonds qui génèrent des intérêts composés, offrant ainsi une source de financement complémentaire sur le long terme. Cette approche, déjà adoptée par plusieurs pays européens, notamment les Pays-Bas, où les dépenses de retraites représentent 7 % du PIB contre près de 14 % en France, illustre une voie possible pour contenir les coûts tout en maintenant un niveau de pension équivalent.

Dans ce contexte, la suppression de l’abattement fiscal de 10 % dont bénéficient actuellement les retraités est envisagée comme une mesure d’équité et de solidarité. Cette proposition, bien que contestée politiquement, vise à élargir la base contributive sans alourdir la charge des actifs, en ciblant principalement les retraités les plus aisés. Erwann Tison souligne que cette mesure permettrait « d’épargner les retraités les plus modestes, qui eux de toute façon ne paient pas ou très peu d’impôts sur le revenu ». Ainsi, cette réforme fiscale pourrait constituer un levier efficace pour répondre aux besoins budgétaires sans recourir exclusivement à des réductions de pensions.

Toutefois, ces solutions ne sauraient suffire sans un ajustement du niveau global des pensions. Maintenir les pensions actuelles dans un contexte de diminution des cotisants reviendrait à exiger un prélèvement mensuel moyen de 1 200 euros par actif, un montant difficilement supportable. Dès lors, une révision du taux de remplacement, c’est-à-dire du rapport entre la pension et le dernier salaire perçu, semble inévitable.

La transition vers un système mêlant répartition et capitalisation doit donc s’accompagner d’une réorganisation des mécanismes fiscaux et sociaux, afin d’assurer une meilleure répartition des efforts entre générations et catégories socio-économiques. Cette démarche soulève des questions complexes, notamment sur la manière de concilier justice sociale et soutenabilité financière.

Dans ce cadre, la comparaison avec les expériences européennes offre des enseignements précieux sur les conditions de réussite d’une telle transition, tout en soulignant les résistances culturelles et politiques qui peuvent freiner l’adoption de mesures innovantes. La recherche d’un équilibre entre rigueur budgétaire et acceptabilité sociale reste au cœur du débat.

La Cgt Et La Résistance À L’ajustement : Entre Idéologie Et Pragmatisme

La question des réformes des retraites ne fait pas que révéler des contraintes économiques, elle cristallise également des tensions politiques et syndicales profondes. Alors que la CGT persiste à réclamer l’abrogation de la réforme de 2023 et à défendre un âge de départ à 60 ans, cette position s’inscrit dans une logique que certains experts jugent déconnectée des réalités budgétaires et démographiques évoquées précédemment.

L’économiste Erwann Tison qualifie ces revendications de « totalement démagogiques », soulignant que les propositions de la CGT, telles que l’augmentation d’un point des cotisations employeurs, ne sont pas neutres économiquement. En effet, cette hausse se répercuterait inévitablement sur la rémunération brute des salariés, donc sur leur pouvoir d’achat, tout en risquant de freiner la création d’emplois. Cette analyse met en lumière une contradiction majeure : vouloir financer des retraites plus généreuses sans reconnaître les limites pesant sur les ressources des actifs et des entreprises.

Au-delà des arguments économiques, le débat révèle également une fracture intergénérationnelle marquée. L’idée selon laquelle les retraités récupèrent simplement ce qu’ils ont cotisé est largement contestée par les chiffres. Dans un système par répartition, les cotisations ne sont pas individualisées mais mutualisées entre générations. Ainsi, les retraités nés après 1945 ont en moyenne récupéré 200 % de ce qu’ils ont versé, tandis que les générations nées dans les années 1990 ne devraient toucher que 110 % de leurs cotisations. Cette réalité illustre un déséquilibre important, conséquence des faibles taux de cotisation des baby-boomers à leurs débuts professionnels, alors que les actifs d’aujourd’hui paient des taux deux à trois fois plus élevés.

Cette disparité soulève des questions d’équité et de solidarité. Peut-on justifier que les générations actuelles, confrontées à une charge contributive accrue, financent des pensions dont le niveau est devenu difficilement soutenable ? La CGT, en refusant toute réduction des pensions ou tout recul de l’âge de départ, semble ignorer ces dynamiques chiffrées, préférant s’appuyer sur une posture idéologique qui valorise la défense catégorielle.

Par ailleurs, la revendication d’une augmentation des cotisations employeurs masque une complexité souvent négligée. La distinction entre cotisations patronales et salariales est en grande partie théorique : toute hausse du coût du travail est susceptible de se traduire par une pression sur les salaires nets ou par un ralentissement de l’emploi. Cette réalité économique limite donc la marge de manœuvre pour financer un système plus généreux sans conséquences négatives sur le marché du travail.

Enfin, la posture politique qui consiste à rejeter toute contribution des retraités plus aisés, notamment par le refus de la suppression de l’abattement fiscal de 10 %, illustre une forme d’électoralisme. Pourtant, comme le souligne Erwann Tison, la plupart des retraités comprennent les enjeux de rigueur budgétaire et pourraient accepter une contribution plus équitable, à condition qu’elle soit justement ciblée.

Ces résistances syndicales et politiques rendent d’autant plus complexe la recherche d’un consensus. Elles mettent en évidence la difficulté à dépasser les logiques catégorielles pour envisager des réformes qui tiennent compte des impératifs économiques et démographiques, tout en préservant la cohésion sociale. Ce dilemme invite à repenser en profondeur la structure même du système de retraites.

Vers Un Modèle Mixte ? Capitalisation Et Justice Intergénérationnelle

La remise en cause des équilibres financiers du système de retraites français conduit naturellement à envisager des alternatives structurelles, au-delà des simples ajustements paramétriques. L’introduction d’un pilier de capitalisation apparaît ainsi comme une piste incontournable pour assurer la pérennité du financement des pensions, tout en atténuant les tensions intergénérationnelles mises en lumière précédemment.

Contrairement au système par répartition, où les cotisations des actifs financent directement les pensions des retraités, la capitalisation repose sur l’accumulation progressive d’épargne individuelle ou collective, valorisée par les rendements financiers. Cette méthode tire parti des « intérêts composés », un mécanisme qui permet, au fil du temps, d’accroître significativement les ressources disponibles. Erwann Tison illustre cette dynamique en comparant 100 euros placés à 5 % : « la première année on va recevoir 105 euros, et cela continuera de manière croissante jusqu’à devenir exponentielle ». Ce modèle offre donc une capacité de création de richesse que la répartition ne peut égaler.

À l’échelle européenne, certains pays ont déjà amorcé cette transition. Aux Pays-Bas, par exemple, les dépenses de retraites représentent environ 7 % du PIB, soit la moitié de ce qu’elles sont en France. Pourtant, ce système néerlandais parvient à garantir des taux de remplacement équivalents, voire supérieurs. Cette comparaison met en lumière le potentiel d’un modèle mixte combinant répartition et capitalisation, susceptible de réduire la pression financière tout en maintenant un niveau de vie décent pour les retraités.

Toutefois, une telle transition ne peut se faire sans efforts de rééquilibrage. Le niveau actuel des cotisations étant déjà élevé (28 % du salaire brut pour un salarié au salaire médian), il est exclu d’imposer une charge supplémentaire aux actifs. La solution proposée consiste donc à réduire le montant des pensions versées aujourd’hui, afin de consacrer une partie de ces ressources à un fonds de capitalisation. Selon les calculs d’Erwann Tison, sur les 28 points de cotisation, quatre pourraient être redirigés : un point pour améliorer le salaire net des actifs, un autre pour financer la dépendance, et deux points (soit environ 20 milliards d’euros) pour alimenter ce fonds en capitalisation. Ce dernier ne serait pas mobilisé avant 2040, moment à partir duquel il pourrait générer un « treizième mois supplémentaire » d’environ 1 200 à 1 300 euros par an pour chaque pensionné.

Au-delà de l’aspect purement économique, cette approche présente également un avantage éthique majeur. En favorisant la solidarité intra-générationnelle entre retraités, elle limite le transfert financier excessif des actifs vers les retraités, une source de tensions aujourd’hui manifeste. Cette redistribution plus équilibrée pourrait ainsi restaurer une forme de justice intergénérationnelle, indispensable à la cohésion sociale.

Néanmoins, le développement de la capitalisation soulève des inquiétudes quant à l’aggravation des inégalités. Or, comme le souligne l’économiste, le système actuel est déjà marqué par des disparités importantes : seuls les plus aisés peuvent bénéficier d’outils de capitalisation comme l’assurance-vie ou le plan d’épargne retraite, tandis que les salariés au Smic en sont exclus. Rendre la capitalisation obligatoire et collective apparaît donc comme une condition sine qua non pour garantir son efficacité et son équité, en élargissant la participation à tous les salariés.

Enfin, la récente évolution du débat public sur la capitalisation témoigne d’un changement de perception notable. Là où ce mécanisme était longtemps stigmatisé, il est désormais envisagé avec plus de pragmatisme, voire de consensus. Erwann Tison évoque un parallèle saisissant avec l’acceptation progressive du nucléaire en France : « On vit avec la capitalisation ce qu’on a vécu avec le nucléaire ». Cette évolution ouvre un espace nouveau pour repenser en profondeur le système de retraites, en conciliant contraintes économiques et exigences de justice sociale.