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Gérald Darmanin révèle : « Cette participation servira à améliorer…

Julie K.
11 Min de lecture

10 millions d’euros par jour. Ce que révèle le projet de réforme pénitentiaire dévoilé par Gérald Darmanin pourrait redéfinir le fonctionnement des prisons françaises. Le ministre de la Justice entend rétablir une participation financière des détenus aux frais d’incarcération, une pratique abandonnée en 2003, justifiant cette participation symbolique par la nécessité de lutter contre un « laxisme » qu’il juge préjudiciable. Alors que deux propositions de loi prévoient des modalités variables selon les revenus des détenus, les critiques s’interrogent sur l’impact réel d’une mesure qui pourrait, selon certains experts, aggraver les difficultés de réinsertion. Derrière les chiffres et les débats, une question se pose : comment concilier responsabilité pénale et justice sociale dans un système déjà sous pression ?

La proposition choc de Gérald Darmanin : faire participer les détenus aux frais d’incarcération

Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a surpris en annonçant lundi 28 avril sur TF1 son intention de rétablir une participation financière des détenus aux frais d’incarcération. « Je vais rétablir ces frais d’incarcération », a-t-il affirmé, justifiant cette mesure par la nécessité de « mettre fin à une sorte de laxisme » dans le système pénitentiaire français. Selon ses déclarations, le fonctionnement des prisons coûte 10 millions d’euros par jour, soit près de 4 milliards d’euros annuels, une charge que l’État assume intégralement depuis 2003. Le garde des Sceaux a toutefois précisé qu’il ne s’agissait pas de transférer la totalité de ce coût sur les détenus, mais d’établir une « participation symbolique » au service public de la justice.

Cette proposition s’inscrit dans un contexte de tensions récurrentes dans les établissements pénitentiaires, marqué récemment par des attaques contre le personnel. Gérald Darmanin a insisté sur l’aspect dissuasif de la mesure, estimant que « responsabiliser » les détenus contribuerait à une meilleure réinsertion. Cependant, le montant exact de cette participation reste à définir, le ministre évoquant une somme « symbolique » mais suffisamment significative pour marquer un changement de cap. La réaction du gouvernement intervient alors que la France fait face à des critiques persistantes sur ses conditions de détention, récemment condamnée en 2023 par la Cour européenne des droits de l’homme.

La suite de ce débat conduit naturellement à l’examen des précédents historiques, notamment le système du « forfait de présence » supprimé en 2003, et aux propositions législatives actuelles visant à encadrer cette participation financière.

Un retour à une pratique antérieure : le forfait de présence en prison

Avant 2003, les détenus français étaient soumis à un « forfait de présence », une contribution symbolique au coût de leur incarcération, assimilable à une redevance quotidienne. Cette pratique, supprimée il y a plus de deux décennies, pourrait être réinstaurée selon les annonces de Gérald Darmanin. Le ministre évoque un retour à ce modèle en s’inspirant du principe du forfait hospitalier, soulignant que cette mesure viserait à responsabiliser les détenus tout en allégeant partiellement la charge financière de l’État. À l’époque, ce forfait s’appliquait de manière progressive, en fonction des ressources individuelles, une logique que les propositions actuelles reprennent.

Deux textes législatifs récents tentent de formaliser cette idée. La proposition de Christophe Naegelen, député de Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT), prévoit ainsi une participation calculée sur la base d’un coût moyen de 100 euros par jour et par détenu, avec un taux variable selon les revenus : jusqu’à 25 % pour les détenus les plus aisés, et un pourcentage réduit pour les plus précaires. L’objectif, selon son auteur, est double : réduire la dépense publique (estimée à 4 milliards d’euros annuels) et favoriser une « réinsertion responsable ». Cette approche n’est pas nouvelle : depuis 2015, des députés de diverses sensibilités, de la droite souverainiste au Rassemblement national, ont régulièrement tenté d’intégrer ce principe dans la loi, sans succès.

Ces initiatives successives révèlent un débat récurrent sur le rôle de la prison. Si certaines propositions, comme celle d’Éric Pauget en 2021, prévoyaient des mécanismes de compensation pour les familles ou des exonérations en cas de détention provisoire, elles ont toutes buté sur des questions pratiques et éthiques. Comment évaluer les ressources d’un détenu ? Quel impact sur les familles déjà fragilisées ? Ces interrogations ressurgissent aujourd’hui, alors que l’administration pénitentiaire peine à répondre aux défis de surpopulation et de sécurité.

Critiques et interrogations sur l’efficacité de la mesure

Derrière les arguments du gouvernement, une partie des experts soulève des doutes sur la pertinence d’une telle réforme. L’Observatoire international des prisons, instance indépendante, pointe notamment un paradoxe : 1 détenu sur 4 travaille en milieu carcéral, faute d’emplois disponibles, et ceux qui trouvent un poste perçoivent au maximum « 45 % du smic horaire brut ». Dans ces conditions, imposer une participation financière risque d’aggraver la précarité des détenus, déjà fragilisés par des conditions de détention souvent dénoncées. « Les appauvrir encore aggraverait le caractère désocialisant et générateur de récidive de la peine d’emprisonnement », alerte l’organisme dans un rapport de 2015.

Au-delà de l’aspect économique, les critiques interpellent sur l’efficacité dissuasive de la mesure. « La recherche a déjà montré que des peines de prison plus sévères n’ont pas d’effet dissuasif sur la commission d’infraction, tout comme la peine de mort sur la criminalité, comment la prison « payante » le pourrait-elle ? » interroge l’Observatoire international des prisons. Cette question met en lumière un débat récurrent sur les finalités de la sanction pénale : punir, responsabiliser ou réinsérer ? Pour les opposants, cette réforme risque de détourner l’attention des réels défis du système pénitentiaire, comme la surpopulation carcérale ou le manque de programmes éducatifs et professionnels.

Ces réserves ouvrent un questionnement plus large sur l’équilibre entre responsabilité individuelle et justice sociale. Si le gouvernement insiste sur le caractère « symbolique » de la participation, les experts s’interrogent sur les mécanismes concrets qui éviteraient de pénaliser davantage les profils les plus vulnérables. La prochaine partie examine les modalités pratiques envisagées, ainsi que les enjeux liés aux conditions de détention, récemment dénoncées par la Cour européenne des droits de l’homme.

Modalités pratiques et enjeux annexes : entre symbolique et conditions de détention

Gérald Darmanin insiste sur le caractère symbolique de la participation financière des détenus, tout en soulignant son importance pour rompre avec un « laxisme » perçu comme contre-productif. Dans une lettre adressée aux agents pénitentiaires, le ministre précise que les recettes générées iront directement à l’amélioration de leurs conditions de travail, souvent dégradées par la surpopulation et les tensions sécuritaires. Cette affectation prioritaire des fonds vise à répondre aux critiques récurrentes sur le manque de moyens du personnel, confronté à des missions de surveillance accrues et à des infrastructures vieillissantes. Toutefois, les détails pratiques, comme le calcul exact de la contribution ou sa mise en œuvre administrative, restent à préciser, laissant planer des interrogations sur la faisabilité d’un tel transfert de ressources.

Les exemptions prévues pour les détenus indigents et ceux en détention provisoire tentent de limiter les effets socialement discriminatoires de la mesure. « Nous allons travailler ensemble pour que ce soit un montant qui soit symbolique », a répété le ministre, cherchant à rassurer les associations. Pourtant, la définition de l’indigence en milieu carcéral, souvent liée à des sources de revenus limitées ou inexistantes, pourrait poser des problèmes d’application. Par ailleurs, le fait de distinguer les personnes en détention provisoire, souvent en situation précaire juridique et financière, soulève des questions sur l’équité de la réforme.

Cette initiative s’inscrit dans un contexte judiciaire tendu pour la France, régulièrement condamnée pour ses conditions de détention. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a sanctionné le pays en 2020 et 2023 pour des traitements jugés « dégradants », liés à la promiscuité, au manque d’accès aux soins ou aux activités éducatives. Imposer une participation financière dans un système déjà critiqué pour son incapacité à garantir des normes minimales pourrait amplifier les tensions. Les défis structurels – surpopulation, manque de programmes de réinsertion, conditions de travail dégradées – risquent en effet de rester en suspens, laissant planer le doute sur l’impact réel d’une mesure avant tout symbolique.