Un portail en aluminium provoque une cascade de sanctions sur l’Île de Ré. Quand le respect des normes patrimoniales entre en conflit avec les contraintes matérielles, le tribunal administratif de Poitiers révèle des arbitrages inattendus. Pourquoi une amende initiale de 12 600 euros a-t-elle été réduite à 1 260 euros malgré l’infraction avérée ? Ce que cachent les « problèmes d’approvisionnement » évoqués par la justice éclaire un débat bien plus large sur l’application des règles architecturales.
Un portail en alu qui défie les règles architecturales
En 2012, un habitant de la rue des Villages à Sainte-Marie-de-Ré obtient un permis de construire sous conditions. La Zone de protection du patrimoine urbain et paysager (ZPPAUP) impose « des clôtures en bois peint, à lames verticales selon la palette de couleurs autorisées ». Une clause que le propriétaire semble avoir oubliée dix ans plus tard.
En 2022, il remplace son portail en bois par un modèle en aluminium gris anthracite, sans autorisation. Ce choix matériel et chromatique contrevient directement aux exigences patrimoniales de la commune. Le gris anthracite, en particulier, s’éloigne des teintes traditionnellement utilisées dans ce secteur protégé.
L’architecte des Bâtiments de France avait pourtant rappelé ces règles lors de l’octroi du permis. Les prescriptions visent à préserver l’identité visuelle de l’Île de Ré, où chaque détail architectural participe à l’harmonie des paysages. Un cadre strict qui laisse peu de place aux initiatives individuelles, comme le démontrera la suite du litige.
La mairie impose une astreinte record pour non-conformité
Le 9 juin 2022, la maire Gisèle Vergnon notifie au propriétaire un ultimatum de deux mois pour remplacer son portail en aluminium. Une astreinte financière de « 200 euros par jour de retard » accompagne cette mise en demeure, selon l’arrêté municipal.
Le propriétaire ne procède au retrait du portail litigieux que le 9 décembre 2022, soit six mois après le délai imparti. Ce retard entraîne une pénalité totale de 12 600 euros, calculée sur la base de 63 jours de retard. « Une somme disproportionnée », proteste l’intéressé, soulignant le caractère excessif de la sanction.
La commune justifie cette mesure par la nécessité de faire respecter les règles de la ZPPAUP. Un bras de fer s’engage alors entre l’administration municipale et le résident, dont l’issue dépendra de l’appréciation du tribunal administratif.
Le tribunal invoque des retards liés aux fournisseurs
Le tribunal administratif de Poitiers statue le 13 mars 2025 : l’astreinte de 12 600 euros est jugée « disproportionnée ». Les juges retiennent l’argument de l’entreprise EasyBat, qui évoque « d’importants problèmes d’approvisionnement de matières premières » pour expliquer le délai de six mois.
« Le remplacement d’un portail […] ne peut être assimilé à des travaux de réparation ordinaires », souligne la décision. Le tribunal relève aussi une subtilité juridique : « Une déclaration préalable n’est pas nécessaire pour la pose d’un portail, qui n’est pas une clôture », selon l’avocat du propriétaire.
La sanction est finalement réduite à 1 260 euros, soit 10 % du montant initial. Les juges prennent en compte la régularisation effective en décembre 2022, tout en confirmant le principe d’une pénalité pour non-respect des règles urbaines.
Un précédent pour les litiges en zones protégées
Le jugement du 13 mars 2025 crée une jurisprudence en matière de régulation patrimoniale. La commune de Sainte-Marie-de-Ré doit rembourser 1 200 euros de frais de justice au propriétaire, selon la décision du tribunal administratif.
Cette décision réaffirme le principe de proportionnalité des sanctions administratives. « Le caractère exécutoire de l’astreinte doit tenir compte des réalités pratiques », semblent indiquer les juges dans leur motivation.
Le cas pourrait influencer la gestion future des 600 ZPPAUP françaises. Les municipalités devront désormais pondérer leur rigueur réglementaire avec une analyse contextuelle des retards, notamment ceux liés à des aléas extérieurs comme les pénuries de matériaux.