L’hybridation réinventée bouscule le marché automobile. Les constructeurs chinois déploient une stratégie inattendue pour séduire les conducteurs réticents à l’électrique : des véhicules dotés d’un générateur à essence qui prolonge l’autonomie sans jamais entraîner directement les roues. Cette technologie EREV connaît une croissance fulgurante en Chine, représentant déjà 6% du marché national. Pourquoi cette solution intermédiaire séduit-elle tant les consommateurs et commence à intéresser des géants comme Stellantis et Volkswagen? La réponse pourrait bien redessiner les contours de la transition énergétique automobile, particulièrement à l’approche de l’échéance européenne de 2035.
L’émergence des véhicules électriques à prolongateur d’autonomie : une réponse chinoise aux défis du marché
Face aux réticences de certains automobilistes à l’égard des véhicules 100% électriques, notamment concernant l’autonomie, les constructeurs chinois déploient une stratégie innovante. Ils développent activement des modèles équipés d’un générateur à essence, une approche visant à lever les freins à l’adoption massive de l’électromobilité. Cette technologie, baptisée « range extender » ou EREV (Electric Vehicle with Range Extender), représente une voie alternative pour proposer des véhicules à la fois électriques et capables de parcourir de longues distances sans dépendre uniquement des infrastructures de recharge.
Comment fonctionne précisément un véhicule EREV ? Il combine une batterie et des moteurs électriques, comme un véhicule purement électrique. La différence réside dans l’ajout d’un petit générateur à essence. Ce moteur thermique n’est pas directement relié aux roues du véhicule ; son unique rôle est d’alimenter la batterie en électricité lorsque son niveau descend sous un certain seuil ou que le conducteur sollicite une puissance accrue. Le véhicule roule donc en permanence grâce à ses moteurs électriques, bien que le fonctionnement du générateur implique la consommation de carburant et, par conséquent, des émissions de gaz.
Cette configuration technique permet aux constructeurs de promettre une autonomie considérablement étendue. Lors du salon de l’automobile de Shanghai, des modèles comme l’énorme SUV Yangwang U8 ou l’Exeed ET, spécifiquement conçu pour l’exportation, ont ainsi annoncé une autonomie rarement atteinte, dépassant les 1.000 kilomètres. Si cette technologie reste encore très rare sur les marchés occidentaux, où les approches se concentrent davantage sur le tout-électrique ou les hybrides rechargeables classiques, l’offensive chinoise pourrait bien changer la donne.
Cette innovation chinoise, offrant une autonomie rassurante tout en conservant une propulsion électrique, rencontre un écho croissant sur son marché intérieur. Mais quel est son succès réel et comment cette technologie se positionne-t-elle sur la scène internationale ?
Un succès grandissant en Chine, une percée timide à l’international
Si l’innovation EREV trouve un écho certain en Chine, sa diffusion au-delà des frontières asiatiques en est encore à ses débuts. Face à une électrification du marché européen moins rapide que prévu et aux hésitations des Américains, cette technologie intermédiaire attire cependant de plus en plus l’attention des grands constructeurs, ouvrant la voie à une possible expansion internationale.
En Chine, les véhicules à prolongateur d’autonomie ne sont plus une simple niche, mais un segment en pleine effervescence. Selon les données du cabinet McKinsey, cette technologie a connu la plus forte croissance en 2024, toutes motorisations confondues. Plus d’un million d’unités ont été vendues, représentant ainsi 6% de parts de marché sur le segment des véhicules dits « à énergie nouvelle » (NEV), qui incluent les EREV et les véhicules 100% électriques (ces derniers pesant 28%). Ce dynamisme exceptionnel témoigne d’une adoption rapide par les consommateurs chinois, séduits par l’autonomie étendue qu’offrent ces modèles sans les contraintes perçues du tout-électrique.
Ailleurs dans le monde, la technologie EREV reste pour l’instant marginale. Si BMW l’avait brièvement proposée sur sa petite électrique i3, elle n’a pas réellement percé sur les grands marchés. Cependant, face aux défis de la transition électrique, la situation évolue rapidement. Le constructeur chinois Leapmotor, partenaire du groupe Stellantis, a récemment marqué un jalon en lançant son SUV C10 en Europe, ouvrant la voie à cette technologie sur le vieux continent. Outre-Atlantique, les États-Unis, avec leurs besoins spécifiques en autonomie pour les longs trajets et le remorquage, apparaissent également comme un marché potentiel majeur. Stellantis et Volkswagen envisagent d’ailleurs d’y introduire des versions EREV de pickups populaires, comme le Ram 1.500 pour le premier et un modèle sous la marque Scout pour le second, reconnaissant l’intérêt de cette approche intermédiaire. Même la coentreprise Horse, formée par Renault et le chinois Geely, travaille activement sur des moteurs destinés à équiper des modèles électriques de prolongateurs, signe que l’intérêt pour cette solution gagne du terrain.
Cette percée, même timide, de l’EREV hors de Chine soulève une question essentielle : quels sont les bénéfices concrets de cette technologie pour les automobilistes et l’industrie, et pourquoi est-elle perçue comme une solution de transition viable ?
Les enjeux d’autonomie et de coût : une solution de transition pour les consommateurs
Alors que les constructeurs chinois poussent la technologie EREV, quels sont les bénéfices concrets qui pourraient séduire les automobilistes occidentaux, encore nombreux à hésiter face au passage à l’électrique ? Deux arguments majeurs se détachent : une autonomie électrique suffisante pour le quotidien et un coût d’acquisition potentiellement plus accessible que celui des véhicules 100% électriques à grande autonomie. Selon le cabinet McKinsey, les modèles EREV permettent de proposer une autonomie en mode purement électrique d’environ 240 kilomètres, couvrant ainsi la majorité des trajets quotidiens sans recourir au générateur à essence. Surtout, grâce à l’utilisation de batteries de plus petite taille, ces véhicules peuvent être commercialisés environ 3.000 dollars de moins qu’un modèle électrique équivalent en termes de gabarit, rendant l’électromobilité plus abordable.
Cette combinaison d’autonomie étendue et de coût maîtrisé semble trouver un écho favorable auprès des consommateurs. Un sondage récent, cité par McKinsey, révèle ainsi qu’après avoir pris connaissance du concept, près d’un quart des personnes interrogées en Europe et aux États-Unis envisagent sérieusement l’achat d’un EREV pour leur prochain véhicule. Cet intérêt marque un point important : le prolongateur d’autonomie apparaît comme une réponse pertinente aux freins perçus de l’électrique, offrant une solution de transition qui rassure sur la capacité à parcourir de longues distances tout en s’engageant dans la mobilité électrique.
Les dirigeants de l’industrie eux-mêmes voient dans l’EREV un rôle à jouer pour accélérer l’adoption des véhicules électriques. Oliver Blume, patron de Volkswagen, a qualifié ces modèles de « bonne façon de réduire le coût d’entrée des gens dans la mobilité électrique ». Cependant, il l’envisage clairement comme une étape intermédiaire vers un avenir entièrement électrique. « L’électrique finira par l’emporter », a-t-il affirmé, anticipant que le développement des batteries permettra bientôt d’atteindre de très grandes autonomies sans recours à un générateur thermique. L’EREV se positionne ainsi comme un pont, facilitant la transition pour les automobilistes avant que les technologies de batteries ne soient pleinement matures et économiquement viables pour tous les usages.
Mais si l’intérêt des consommateurs et l’avis de certains acteurs de l’industrie sont clairs, la voie est-elle pour autant dégagée pour les EREV sur les marchés occidentaux, notamment en Europe où la réglementation se durcit ?
Contraintes réglementaires et perspectives d’avenir sur les marchés occidentaux
Si les véhicules à prolongateur d’autonomie présentent des avantages indéniables pour les consommateurs en termes de coût et d’autonomie perçue, leur avenir sur les marchés occidentaux, et particulièrement en Europe, est loin d’être assuré. Les spécificités de chaque région et les cadres réglementaires divergent fortement, créant un paysage complexe pour l’intégration de cette technologie. Aux États-Unis, les besoins semblent mieux alignés avec les capacités des EREV. Sébastien Jacquet, vice-président de l’ingénierie chez Stellantis, évoque ainsi un « vrai usage identifié pour les États-Unis, pour des besoins très américains ». Il cite notamment les longs trajets et l’utilisation sur des pickups pour remorquer des charges lourdes, comme des bateaux, où l’autonomie d’un véhicule purement électrique chuterait drastiquement.
En Europe, la situation est plus tendue. Le marché est confronté au « couperet de 2035 », l’échéance fixée pour le passage prévu à un marché automobile 100% électrique. Cette date butoir soulève des questions majeures pour les investissements industriels. Pourquoi un équipementier ou un constructeur investirait-il massivement dans des usines dédiées à la production de prolongateurs d’autonomie en Europe si cette technologie risque d’être interdite à la vente dans un peu plus de dix ans ? C’est l’interrogation soulevée par Holger Klein, patron de l’équipementier allemand ZF, qui fabrique ces systèmes. Il a clairement lancé : « Qui investirait dans des usines (de prolongateurs d’autonomie) en Europe si on sait qu’elles seront caduques en 2035 ? Il faut résoudre cette question très vite. »
Malgré cette incertitude, une porte pourrait potentiellement s’entrouvrir pour les EREV en Europe. Leur intégration dépendra en grande partie de l’interprétation future de la réglementation post-2035 et des éventuelles exceptions qui pourraient être accordées à des motorisations considérées comme moins polluantes que les moteurs thermiques classiques, même si elles ne sont pas 100% électriques. Des demandes en ce sens sont formulées, notamment par l’Allemagne, qui milite pour l’inclusion de carburants synthétiques ou d’autres technologies intermédiaires. Si de telles exceptions étaient concédées, les EREV pourraient trouver une place, au moins transitoirement, sur le marché européen.
En attendant une clarification réglementaire et pour tester la réceptivité du marché, les constructeurs occidentaux semblent vouloir s’appuyer sur leurs partenariats avec les acteurs chinois, pionniers de cette technologie. L’avenir des EREV en Occident dépendra donc d’un équilibre délicat entre besoins des consommateurs, stratégies industrielles et décisions politiques.