La musique reggae perd l’une de ses voix les plus influentes. Max Romeo, pionnier du genre disparu ce 11 avril à 80 ans, laisse derrière lui un héritage musical marqué par un paradoxe éclatant. Derrière ses mélodies envoûtantes se cache une chanson censurée qui a propulsé sa carrière… et failli la détruire. Comment cet ancien ouvrier agricole a-t-il révolutionné la scène musicale ? Pourquoi ses derniers concerts ont-ils déclenché une tempête médiatique ? L’article lève le voile sur les zones d’ombre d’une légende trop méconnue.
Une légende s’éteint : la mort de Max Romeo à 80 ans
Le reggae mondial pleure son pionnier. Max Romeo, de son vrai nom Maxwell Livingston Smith, décède ce 11 avril 2025 dans un hôpital jamaïcain des suites de complications respiratoires. La famille du chanteur confirme la nouvelle aux médias locaux, mettant fin à six décennies d’une carrière musicale mythique.
À 80 ans, l’artiste laisse derrière lui l’héritage d’un genre musical qu’il a contribué à populariser bien au-delà des Caraïbes. Considéré comme une référence absolue dans le milieu, celui qui ambiançait encore des salles européennes en 2023 reste associé à son tube planétaire « Chase the Devil ».
Derrière le nom de scène devenu légendaire se cache pourtant un destin plus complexe. L’ancien ouvrier agricole, qui coupait jadis la canne à sucre dans sa Jamaïque natale, avait commencé sa mue artistique au début des années 1960. Une transformation radicale qui le mènera du statut de simple travailleur à celui d’icône culturelle.
« Wet Dream » : le tube sulfureux qui a marqué sa carrière
La consécration de Max Romeo naît d’un scandale. En 1969, son titre « Wet Dream » provoque un séisme médiatique au Royaume-Uni. La BBC bannit immédiatement la chanson de ses antennes, les présentateurs dénonçant des « paroles trop sexualisées ». Un revers qui se transforme en arme de promotion massive.
Ce paradoxe typique des années 1969 propulse pourtant l’artiste sur le devant de la scène internationale. Le morceau, initialement conçu pour son lancement en solo après des débuts dans le groupe The Emotions, dépasse toutes les attentes. Une ironie du sort pour celui qui s’était fait connaître avec des ballades reggae sentimentales.
Le succès fulgurant de ce titre controversé scelle définitivement son identité artistique. Derrière le pseudonyme Max Romeo – adopté durant ses premières années musicales – se dessine déjà la silhouette d’un provocateur talentueux, prêt à bousculer les codes pour imposer sa voix.
De la canne à sucre à « War Ina Babylon » : l’évolution militante
L’itinéraire de Max Romeo dessine une métamorphose spectaculaire. L’ancien coupeur de canne à sucre devient porte-voix d’une génération en s’engageant dans le mouvement rastafari aux côtés de Bob Marley. Cette conversion spirituelle radicale transforme radicalement son approche musicale.
Ses textes abandonnent progressivement la provocation pour embrasser des thèmes bibliques et politiques. « Let the power fall on I », sorti en 1976, cristallise cette nouvelle orientation. Le morceau, qui réclame justice sociale, devient même l’hymne officiel du Parti national du peuple, formation de gauche jamaïcaine.
Cette maturation artistique atteint son apogée la même année avec War Ina Babylon, album culte qui influencera des générations de musiciens. Les titres « One step forward » et « Chase the Devil », piliers du disque, résonnent encore aujourd’hui dans les samples de Jay-Z. Une longévité exceptionnelle pour ce manifeste musical né dans les luttes sociales des années 1970.
Derniers feux et contentieux : la tournée d’adieux mouvementée
La carrière de Max Romeo s’achève dans la tourmente. En 2023, l’artiste entame une ultime tournée européenne qui le mène en France, en Allemagne et en Italie. Des concerts présentés comme des adieux à la scène, mais rapidement éclipsés par un conflit juridique explosif avec ses maisons de disques.
L’icône du reggae accuse publiquement Universal Music Group et Polygram Publishing Inc de ne l’avoir pas rémunéré pendant plusieurs années. Une situation insoutenable pour le septuagénaire qui réclame 15 millions de dollars de royalties impayées, révélant les coulisses amères d’une carrière légendaire.
Quelques mois avant son hospitalisation pour problèmes respiratoires, ce litige financier assombrit les derniers feux de l’artiste. Un paradoxe cruel pour celui qui aura marqué l’histoire musicale jusqu’à son dernier souffle, le 11 avril 2025, dans un hôpital de sa Jamaïque natale.