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Muriel Dotta, mère de Salomé : « J’ai mis 9 mois à la faire naître, il a mis 9 mois pour la tuer » – Six ans après le féminicide, son témoignage déchirant

Julie K.
14 Min de lecture

Le féminicide de Salomé, survenu il y a six ans, soulève des questions cruciales sur la reconnaissance et la prévention des violences conjugales. Comment une jeune femme au fort caractère a-t-elle pu sombrer dans une relation destructrice ? Ce que révèle le témoignage de sa mère met en lumière des failles profondes, dont l’ampleur reste à découvrir. La vérité surprenante derrière ce drame invite à une réflexion nécessaire.

La Lente Emprise : Quand L’Amour Devient Enfer

La relation entre Salomé et son conjoint, entamée en 2018 alors qu’elle n’a que 20 ans, illustre tragiquement le processus insidieux de la manipulation amoureuse. Au début, la jeune femme, décrite par sa mère Muriel Dotta comme ayant « un fort caractère », ne laisse rien paraître de la violence qui s’installe peu à peu. Pourtant, cette relation va rapidement modifier en profondeur son comportement et son mode de vie.

Muriel Dotta se souvient de la première rencontre avec ce compagnon, qu’elle perçoit immédiatement comme un homme « très imbu de lui-même, assez macho », dont la jalousie excessive devient rapidement évidente. Cette possessivité se manifeste par des interdits stricts : il ne faut pas que d’autres hommes regardent Salomé, ni lui adressent la parole dans la rue. Ce contrôle progressif signe le début d’un isolement social, un phénomène classique dans les situations d’emprise.

Les signes de cette transformation sont visibles et rapides. Muriel observe un changement radical dans l’apparence de sa fille : « Elle ne se maquille plus. Elle ne se fait plus jolie. Et ça, c’est allé très vite ». Salomé abandonne ses tenues légères et colorées pour des vêtements amples et sombres, signe extérieur d’un repli sur elle-même. Parallèlement, elle interrompt ses études et rompt ses liens avec ses amis, s’enfermant dans une solitude imposée par son compagnon.

Cette lente emprise psychologique s’inscrit dans un contexte plus large de violences conjugales en France. En 2019, année du meurtre de Salomé, ce drame est venu s’ajouter à une liste déjà tragique : il s’agit du 100ᵉ féminicide recensé cette année-là, soulignant la gravité et l’ampleur du phénomène. Ces chiffres témoignent d’une réalité sociale où la manipulation amoureuse ne reste pas sans conséquences, et où l’isolement progressif des victimes est souvent un prélude à des violences mortelles.

Ce processus d’emprise, difficile à détecter pour l’entourage, s’accompagne d’une rupture dans la communication familiale. Salomé, autrefois proche de sa mère, se fait de plus en plus distante, jusqu’à éviter les contacts. Muriel décrit cette période comme « marcher sur des œufs », consciente du danger mais craignant de perdre le dernier lien qui l’unit à sa fille.

Ainsi se dessine un portrait inquiétant de la violence conjugale, où l’amour se transforme peu à peu en un enfermement psychologique, prélude à un drame annoncé. Cette évolution soulève des questions cruciales sur les mécanismes de la manipulation et les moyens d’intervenir avant que l’irréparable ne survienne.

L’Angoisse Familiale : Entre Alertes Et Impuissance

La distance croissante entre Salomé et sa famille ne tarde pas à susciter une inquiétude palpable. Muriel Dotta, témoin impuissant de la transformation de sa fille, voit les signes s’accumuler sans pouvoir intervenir efficacement. Salomé, qui avait cessé de se confier, rompt progressivement tout contact, fuyant même les rencontres familiales. Cette rupture fragilise un peu plus une situation déjà précaire.

Le premier signal d’alarme concret vient du milieu professionnel. Employée dans une boulangerie, Salomé abandonne son poste, ce qui pousse son patron à alerter la famille. Ce témoignage extérieur souligne la gravité de la situation, jusqu’alors perçue surtout à travers le regard maternel. Muriel Dotta prend alors conscience qu’il faut agir : « J’appelle mon mari, le beau-père de Salomé, je lui dis qu’il faut qu’on fasse quelque chose, qu’on aille la voir, qu’on discute avec elle, parce que ça va trop loin. »

Cette tentative d’intervention familiale, loin d’apaiser la situation, provoque une confrontation tendue. Lors d’une dispute, Salomé lance une phrase lourde de sens : « Qu’est-ce que je vais prendre ? » Ces mots, rapportés par Muriel, résonnent comme un cri d’alerte et traduisent la peur et la menace qui pèsent sur elle. La mère, désemparée, rappelle alors à son gendre de ne pas toucher à sa fille, mais le fossé ne cesse de se creuser.

Malgré ces efforts, le contact avec Salomé se perd presque complètement. Les réponses se font rares et distantes, jusqu’à ce que, un jour, la jeune femme rompe le silence pour son anniversaire. Dans ce dernier message, elle exprime son amour pour sa famille et sa nostalgie envers ses frères et sœurs, donnant l’illusion d’un possible retour. Mais ce fragile espoir est de courte durée.

Le drame survient peu après, brutal et irréversible. Lorsque Muriel Dotta apprend la mort de sa fille, la douleur est exacerbée par le sentiment d’avoir été démunie face à une spirale dont elle n’a pas pu briser l’élan. Plus douloureux encore est le constat d’une erreur policière majeure : lors de l’intervention, les forces de l’ordre se trompent d’adresse, retardant une aide pourtant attendue. Ce dysfonctionnement, évoqué à l’époque par le ministre de l’Intérieur, cristallise la frustration d’une famille qui espérait un soutien efficace.

L’enchaînement des alertes et le poids de l’inaction, qu’elle soit familiale ou institutionnelle, illustrent la complexité des mécanismes à l’œuvre dans ces situations de violence. Comment intervenir quand la victime se replie et refuse tout secours ? Comment agir face à un système qui, parfois, laisse échapper les signaux d’alarme ? Ces questions restent au cœur des débats sur la prévention des féminicides et la protection des victimes.

L’Irréparable : Identification Et Procès Douloureux

La douleur de Muriel Dotta atteint son paroxysme au moment de l’identification du corps de sa fille. C’est grâce à un détail poignant, le bracelet orné d’une demi-lune que Salomé portait, que la mère reconnaît l’irréversible vérité. « J’ai mis 9 mois à la faire naître, il a mis 9 mois pour la tuer », confie-t-elle avec une tristesse profonde, résumant en une phrase le contraste brutal entre la vie qu’elle a donnée et la mort prématurée de sa fille.

Cette reconnaissance marque le début d’un long chemin judiciaire. Le compagnon de Salomé est rapidement arrêté et mis en examen. Durant le procès, il finit par passer aux aveux, un moment « extrêmement difficile » pour Muriel, qui rappelle la violence psychologique qu’elle a subie jusque dans la salle d’audience. Elle rapporte ses propos glaçants : « Il s’est adressé à moi en me disant que Salomé le voulait. Elle ne voulait que lui. C’était l’horreur. » Ces déclarations illustrent la tentative de déresponsabilisation du meurtrier, renforçant la douleur et l’injustice ressenties par la famille.

La condamnation à la prison à perpétuité, assortie d’une peine de sûreté de 22 ans, constitue une décision lourde de sens. Si elle ne peut effacer la perte, elle incarne une forme de justice et une garantie que le bourreau ne pourra pas nuire de nouveau. Muriel souligne néanmoins que cette peine, bien qu’importante, ne lui rendra jamais sa fille. Elle insiste sur l’importance de cette sanction pour prévenir d’autres tragédies similaires.

Parallèlement, le drame met en lumière les défaillances institutionnelles. L’intervention policière, déjà critiquée pour son retard et son erreur d’adresse, a été qualifiée d’échec par le ministre de l’Intérieur à l’époque. Cette reconnaissance officielle souligne les limites du dispositif de protection et les failles qui peuvent coûter la vie à des victimes en détresse. Le cas de Salomé illustre ainsi la nécessité d’une amélioration constante des protocoles d’intervention.

Au-delà de la dimension judiciaire et institutionnelle, la culpabilité parentale pèse lourdement sur Muriel Dotta. Elle avoue : « On se reproche de ne pas avoir eu les bons mots. Moi, je me reproche de ne pas avoir pu la sauver. » Ce sentiment d’impuissance, partagé par de nombreuses familles confrontées à la violence conjugale, rappelle la complexité émotionnelle de ces drames.

La mémoire de Salomé reste vivante, nourrie par le combat de sa mère qui, malgré la douleur, cherche à transformer cette tragédie en une force de prévention et de sensibilisation. Cette étape judiciaire, bien que cruciale, ne clôt pas le combat engagé pour que de telles histoires cessent de se répéter.

Mémoire Engagée : Combattre Pour Prévenir

Dans la continuité de ce douloureux procès, Muriel Dotta a choisi de canaliser sa douleur en un engagement concret. Consciente que le combat contre les féminicides dépasse le cadre judiciaire, elle a fondé une antenne locale du collectif #NousToutes à Grasse. Ce collectif, reconnu pour son action militante contre les violences faites aux femmes, lui offre une plateforme pour sensibiliser, informer et soutenir les victimes, tout en honorant la mémoire de Salomé.

Par ailleurs, Muriel a publié un livre témoignage. Elle y dénonce sans détour la mécanique de l’emprise et les défaillances qui peuvent précéder ces drames. Son objectif est clair : « faire en sorte qu’on n’oublie pas Salomé, qu’on n’oublie pas ce qui lui est arrivé », souligne-t-elle. Ce livre se veut un outil d’information, destiné à éclairer aussi bien les victimes que leurs proches et les professionnels de terrain, afin de mieux comprendre les signaux d’alerte et les moyens d’intervention.

Cette démarche s’inscrit dans un contexte national toujours alarmant. En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint ou ex-conjoint. Ce chiffre, implacable, rappelle l’ampleur du phénomène et la nécessité d’une mobilisation constante. Les initiatives comme celle de Muriel Dotta participent à renforcer la prévention, en multipliant les actions de sensibilisation et en améliorant l’accompagnement des victimes.

L’engagement de Muriel incarne aussi une volonté de transformation sociale. En rendant visible ce qui demeure souvent tabou, elle contribue à faire évoluer les mentalités et à encourager les victimes à sortir du silence. Elle insiste sur l’importance de l’écoute, de la reconnaissance des signes d’emprise et du soutien adapté, autant d’éléments essentiels pour éviter que l’histoire tragique de Salomé ne se reproduise.

Ainsi, au-delà du deuil, ce combat pour la mémoire devient un levier de changement. Il souligne la responsabilité collective face à ces violences et la nécessité de renforcer les dispositifs de protection et d’accompagnement. La parole de Muriel Dotta, portée avec force et détermination, illustre combien il est impératif de conjuguer justice, prévention et solidarité pour préserver des vies.