web statistic

Odile de Vasselot, 103 ans : la résistante devenue religieuse qui n’était pas pressée de tomber dans les bras de Dieu

Julie K.
7 Min de lecture

Elle a frôlé la Gestapo à 22 ans avant de consacrer 30 ans à Dieu en Afrique : Odile de Vasselot, morte à 103 ans, incarne l’héroïsme discret de la Résistance. Cette aristocrate devenue passeuse de vies sous deux pseudonymes a traversé le siècle en cachant dans ses poches des preuves… qu’elle avalait au péril de sa vie. Comment cette enseignante à la voix claire est-elle passée des réseaux secrets aux salles de classe ? Et pourquoi affirmait-elle, centenaire, n’être « pas pressée de tomber dans les bras de Dieu » ?

Une jeunesse patriote face à l’Occupation

Fille et petite-fille de militaires, Odile de Vasselot grandit dans le culte de la patrie. Dès l’enfance, elle entend vanter les théories du capitaine de Gaulle sur les blindés par son grand-père, le général de Cagnac. Un destin qui bascule le 18 juin 1940 : cachée dans le donjon du château familial poitevin, la jeune bachelière écoute l’Appel sur un poste à galène trafiqué, une aiguille remplissant l’antenne.

« Ce n’était pas possible de ne rien faire avec ces grands étendards à croix gammée », confiera-t-elle 83 ans plus tard. À 18 ans, elle lacère des affiches allemandes et dessine des croix de Lorraine à la craie. Son premier coup d’éclat a lieu le 11 novembre 1940 : malgré le couvre-feu, elle rejoint les Champs-Élysées avec un pompon tricolore fait maison, participant à l’une des premières manifestations publiques contre l’occupant.

Quand son père est fait prisonnier en Allemagne, les Vasselot s’installent à Paris. Les trois sœurs transforment leur colère en actes clandestins. Mais Odile veut davantage : « Je veux le faire ! », se dit-elle en 1942 quand une inconnue du réseau Zéro lui propose une mission à haut risque. Sans imaginer qu’elle deviendra bientôt « Danièle », agent de liaison parcourant la France occupée.

Dans l’ombre des réseaux : Danièle, Jeanne et les missions périlleuses

« Etes-vous prête à partir à Toulouse vendredi par le train de nuit ? » La question de Mme Poirier, recruteuse du réseau Zéro, scelle en 1942 l’entrée d’Odile dans la Résistance active. Sous le nom de code Danièle, elle effectue chaque semaine un trajet Paris-Toulouse avec des paquets mystérieux : « Je ne savais pas ce que je transportais », avouera-t-elle. Un jeu du chat et de la souris où la jeune femme alterne entre innocence feinte et sang-froid.

Le réseau Zéro tombe en avril 1943. Jeanne renaît alors dans le réseau Comète, spécialisé dans l’exfiltration d’aviateurs alliés. Son nouveau défi : guider ces hommes traqués de Belgique jusqu’aux Pyrénées, via un itinéraire semé de contrôles allemands. Un ballet minutieux où chaque faux pas signifie la mort.

Odile maîtrise l’art du camouflage. Elle voyage en troisième classe, évite les regards, parle l’allemand quand il le faut. Ses atouts ? Une apparence de jeune fille rangée et une mémoire exceptionnelle pour les pseudonymes. Mais le danger rôde : en dix-huit mois, elle échappe trois fois à l’arrestation, toujours protégée par son « statut de femme invisible aux yeux de l’occupant ».

Janvier 1944 : l’étau se resserre dans un compartiment de train

Le 4 janvier marque son baptême du feu. Dans un compartiment bondé, Odile voyage avec deux aviateurs anglais quand la Gestapo fait irruption. Les soldats arrêtent les Alliés qui, héroïquement, « l’ignorent pour ne pas la compromettre ». Les mains sous sa cape, elle déchire fébrilement les annexes des billets : « Je les ai mangées… », racontera-t-elle. Un moment où chaque seconde compte, où la mort rôde à portée de souffle.

Durant l’été 1944, son rôle dans la Libération de Paris manque lui coûter la vie. Lors d’une ultime mission de liaison, une balle frôle son bras. Mais la résistante de 22 ans survit pour voir la défaite allemande, nourrissant dès lors une « confiance absolue en Dieu, seul ami face au danger ».

Cette expérience forge sa résilience. À chaque contrôle, chaque fouille imprévue, elle développe un instinct de survie : sourire neutre, gestes lents, voix calme. Des réflexes qui lui permettent de traverser l’Occupation sans être démasquée, malgré 18 mois d’activité clandestine et des milliers de kilomètres parcourus sous surveillance ennemie.

De la Résistance à l’enseignement : un siècle de combat pédagogique

La guerre à peine terminée, Odile échange son brassard FFI contre une robe de religieuse. En 1947, elle rejoint la Communauté Saint-François-Xavier, conjuguant engagement spirituel et éducatif. Titulaire d’une licence d’histoire, elle enseigne à Paris avant de s’envoler pour l’Afrique en 1959.

Pendant 30 ans, elle dirige le collège-lycée Sainte-Marie d’Abidjan, formant des générations d’élèves ivoiriens. « Transmettre l’empathie, le respect des cultures » devient sa nouvelle mission, dans un pays en pleine décolonisation. Son credo : éduquer pour empêcher le retour des fascismes.

De retour en France à 66 ans, cette « dame au regard azur » parcourt les écoles jusqu’à 103 ans. « J’ai été passeur dans les réseaux et je continue à être passeur », répète-t-elle inlassablement, transformant chaque témoignage en leçon de civisme. Une longévité qu’elle explique par un ultime défi : « Pas pressée de tomber dans les bras de Dieu » tant que son message survit.