Imaginez-vous, à 86 ans, confronté à une facture d’eau de près de 100 000 euros. C’est le cauchemar vécu par Selim, un commerçant retraité de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis. Après avoir consacré sa vie à bâtir un petit empire immobilier, cet octogénaire s’est retrouvé victime d’un squat qui a duré quatre longues années. Mais le pire était encore à venir.
Lorsque Selim a enfin récupéré son bien à l’été 2022, il pensait que son calvaire touchait à sa fin. C’était sans compter sur la vengeance des squatteurs qui, avant de partir, ont laissé couler l’eau 24 heures sur 24, transformant sa propriété en véritable marécage et lui laissant une ardoise astronomique. Cette histoire rocambolesque met en lumière les failles d’un système qui peine à protéger les propriétaires et soulève des questions cruciales sur les limites de la législation actuelle.
Du rêve immobilier au cauchemar du squat
L’histoire de Selim est celle d’un self-made man. Arrivé de Turquie, il a commencé modestement en vendant du vin à la tireuse avant de devenir propriétaire d’un café. En 1977, il franchit une étape décisive en achetant les murs de son commerce : un pavillon de 180 m² sur deux étages. « C’était un investissement pour ma retraite, qui n’est pas lourde : 400 euros par mois. Cet immeuble, c’est le fruit de mon travail », confie-t-il avec émotion.
Mais en 2018, le rêve vire au cauchemar. Des individus s’introduisent illégalement dans sa propriété et s’y installent. Commence alors une bataille juridique éprouvante pour Selim, qui doit en parallèle s’occuper de son épouse gravement malade. Ce n’est qu’en septembre 2022, après quatre années de lutte acharnée, que le propriétaire parvient enfin à récupérer son bien.
L’amère victoire d’un propriétaire démuni
La joie de la victoire est de courte durée pour Selim. En pénétrant dans son immeuble, il découvre un spectacle de désolation. « Au sol, il est par endroits impossible de se frayer un chemin entre les matelas éventrés, les cadavres de bouteilles et les cartons de pizza », rapporte Le Parisien. Mais le pire reste à venir : les squatteurs, dans un acte de vengeance, ont délibérément laissé couler l’eau sans interruption.
Les conséquences sont catastrophiques. La cave est inondée, avec 20 cm d’eau au sol, et infestée de rats. Mais c’est la facture d’eau qui porte le coup de grâce : Veolia réclame à Selim la somme astronomique de 97 852 euros. « Ce n’est pas un choc, c’est un tremblement de terre », déplore le propriétaire, désemparé face à cette situation kafkaïenne.
Selon les estimations, il y aurait entre 15 000 et 20 000 squats en France. Les propriétaires victimes de squats mettent en moyenne 2 ans pour récupérer leur bien. Les dégâts causés par les squatteurs s’élèvent en moyenne à 15 000 euros par logement.
Un vide juridique aux conséquences dévastatrices
Le cas de Selim met en lumière les failles du système juridique français en matière de protection des propriétaires. Malgré ses alertes répétées auprès de Veolia dès juin 2018, le fournisseur d’eau n’a pas pu couper l’alimentation de l’immeuble. En effet, la loi interdit aux fournisseurs de couper l’accès à l’eau d’une résidence principale, même en cas d’impayés.
Cette situation kafkaïenne se double d’une autre difficulté : l’assurance de Selim refuse de couvrir les dégâts liés au squat. Le propriétaire se retrouve ainsi doublement pénalisé, victime à la fois des squatteurs et d’un système qui peine à le protéger. « Une facture de 100 000 euros laissée par des squatteurs. Je n’avais encore jamais vu ça de ma carrière », s’étonne Maître Xavier Bouillot, l’avocat de Selim.
Vers une législation plus protectrice ?
Face à la multiplication des cas similaires à celui de Selim, le législateur a récemment pris des mesures pour renforcer la protection des propriétaires. La loi du 27 juillet 2023, dite « anti-squat », vise à durcir les sanctions contre les occupants illégaux et à accélérer les procédures d’expulsion.
Parmi les nouvelles dispositions, on note la création de deux nouveaux délits : l’introduction frauduleuse dans un local et le maintien dans les lieux malgré une décision de justice. Les peines encourues pour le squat d’un domicile ont été triplées, passant à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. De plus, la loi prévoit une réduction des délais de procédure et une meilleure protection des propriétaires dans les contrats de bail.
– Création de nouveaux délits liés au squat
– Triplement des peines pour occupation illégale d’un domicile
– Réduction des délais de procédure d’expulsion
– Clause résolutoire obligatoire dans les contrats de bail
– Délais réduits pour quitter les lieux après décision de justice
Bien que ces mesures arrivent trop tard pour Selim, elles offrent un espoir aux propriétaires confrontés à des situations similaires. Cependant, des zones d’ombre persistent, notamment concernant la responsabilité des fournisseurs d’eau et d’énergie en cas de consommation abusive par des occupants illégaux.
L’histoire de Selim soulève ainsi des questions cruciales sur l’équilibre entre le droit au logement et le droit de propriété. Elle met en lumière la nécessité d’une réflexion approfondie sur la protection des propriétaires, tout en préservant les droits fondamentaux des occupants, même en situation irrégulière. Le chemin vers une législation équilibrée et efficace semble encore long, mais le cas de cet octogénaire pourrait bien servir de catalyseur pour de futures évolutions juridiques.
Les #squatteurs qui occupaient la maison de Monique ont fini par être expulsés.
Pour l’huissière de justice, les réseaux de squat seraient fréquents : "Il y a des gens à Marseille qui sont payés pour communiquer des adresses de locaux vides." #EnvoyeSpecial pic.twitter.com/eMJL5zyhCL
— Envoyé spécial (@EnvoyeSpecial) November 19, 2020